Les mains en l'air !

Quels sont donc ces masques qui se sont posés sur nous, pour se visser comme des couvercles au fil des jours et des années ?

Des-masques-gigognes qui ont fini par se sédimenter les uns sur les autres à force d’être portés, et qui sont vachement moins rigolos que ces petites poupées matriochkas in fine.

Sur qui, sur quoi, ces couvercles se sont-ils refermés ?

Que sont ces uniformes et ces conditionnements qui se sont invités au point de s’incruster ?

Au fil de nos endurcissements, ils ont certainement verrouillé des portes, bâillonné nos petites voix et éteint nos intuitions.

Est-ce que par hasard on ne se serait pas laissé convaincre individuellement et collectivement que nous étions ces masques, à force de les porter ?

Ces masques que l'on porte pour se protéger ou s'embellir. Ces masques aussi qui mènent à la confusion et qui brouillent les pistes jusqu'à nous couper de la relation. Ces masques qui voilent et dissimulent jusqu'à occulter.

Pourtant, qui nous demande de participer à cette mascarade ?

Et si, soignantes, nous arrêtions de "faire comme si" ?

Qui donc exige de nous, de moi, que je parade dans ce bal, masquée de mes apparences ?

Si j’arrêtais de me draper dans un costume qui fait croire à tout le monde que je gère ?

Si je décidais de laisser émerger mes rugosités sans chercher à les dissimuler

derrière une étoffe lisse et immaculée ?

Si j’offrais un espace à mes émotions et mes besoins au lieu de les planquer sous un tissu opaque ?

Si je prenais le temps de me poser et de contempler ce qui se passe sous ma blouse, dans mon cœur ?

Si je commençais à me départir de toutes ces identités, ces conditionnements, pour me laisser le droit, (la chance même !) de rayonner de qui je suis vraiment ?

Si je me regardais sans filtre, sans fard, avec lucidité,… ça donnerait quoi ?

Ce serait sans aucun doute très inconfortable de rencontrer mes aspérités et mes complexités.

De laisser émerger mes nuances, de décider que j’en ai ras le bol d’enfiler ce costume qui (me) fait croire que je suis prémunie contre ma propre souffrance ou celle des autres.

On est bien d’accord, c’est difficile de baisser les armes en décidant d’ouvrir toutes ces boîtes, parce qu’on ne sait pas réellement qui on va trouver en délivrant cet enfant qui repose au fond de nous.

Mais tout bien réfléchi, peut-être que ce serait l’opportunité de considérer nos doutes et nos déceptions, nos errances et nos balbutiements comme des points d’ancrage ?

Pour nous d’abord, et puis aussi et surtout…pour les autres ???

Alors désarmons-nous.

Plus qu’une demande, c’est carrément une supplication.

Autorisons-nous, individuellement et collectivement à offrir une tribune libre à notre vulnérabilité pour prendre conscience que s’engager dans le soin ce n’est pas être infaillible. Qu’on peut être fiable non seulement malgré, mais grâce à ces irrégularités qui sont nos richesses.

Que ce sont elles qui nous permettent d’acquérir de la nuance et d’éviter de nous blinder.

Oui ! Ce sont bien ces nuances qui nous évitent de vivre en automate, dans un monde en noir et blanc, en bien/mal, juste/faux. Qui nous évitent aussi de plonger dans une vision qui nous coupe de notre créativité et nos richesses…

Soyons vigilantes.

Ne nous laissons pas endormir !

N’oublions pas que c’est cette capacité à ressentir au-delà des mots et des apparentes évidences qui nous aide à percevoir avec justesse ce dont nos patients peuvent avoir besoin et de nous y adapter.

Gardons comme un trésor la capacité de faire à partir du matériau que nous sommes et des moyens que nous avons sans nous rêver autrement.  Oui ! c'est bien en partant du réel que nous pouvons retrouver un pouvoir d’agir ; mieux encore, une capacité agissante.

En disant non à l'entourloupe du masque, on dit non à quelque chose qui n'est pas écologique pour nous ; qui nous demande de nous suradapter en permanence pour correspondre à un idéal. Et ce faisant on dit oui à la possibilité que quelque chose d'autre arrive, à laquelle on n'avait pas forcément pensé.

N’oublions pas, la prochaine fois que nous commençons notre journée, au moment où nous enfilons notre blouse, de décider de prendre notre humanité avec nous…ça peut toujours servir !

Alors, prêtes ? Bas les masques…et hauts les cœurs !