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Ballotée. Chahutée.

En ce moment plus que de coutume je ne sais plus que penser.

C'est une habitude chez moi de ne pas aimer trancher. De ne pas savoir de quel côté me "ranger". Parce que ça me propulse dans l'état d'une paire de chaussettes rangée dans un tiroir.

J'aime pas.

Depuis un an et demi maintenant, on nous demande d'avoir confiance. On nous fait croire que la stabilité et la sécurité sont possibles au coeur même d'un environnement qu'on nous présente comme risqué, menaçant, dangereux.

Les conditions nous font douter de nous-mêmes, et des autres.

De nos voisins, de nos collègues. De nos médecins, de nos scientifiques et de nos politiques.

On nous explique que dans la bataille, il y a les fragiles et les vulnérables qui pètent des câbles, et les fortiches qui savent garder la tête froide et avancent, imperturbables.

On cherche où on se trouve, à quelle catégorie on appartient. On se questionne. Une fois de plus nos blouses ont tendance à nous coller à la peau.

On nous demande notre avis comme si on était censées savoir, que ce soit des patients ou des amis.

Mais a-t-on le droit d'avoir un avis perso qui diffère de ce que nous sommes censées  penser en tant que Soignantes, appartenant à la sacro sainte communauté scientifique ?

Nous voilà à nouveau tiraillées entre nos besoins d'appartenance et d'intégrité.

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J'ai décidé de prendre une autre tangente.

Je me suis sentie tellement en colère d'entendre tout et son contraire, de ne plus savoir que penser, que pendant un long moment je crois que j'ai arrêté de penser. Je trouvais que ça ne servait à rien.

J'en ai voulu à ceux qui ne savaient pas et n'étaient pas sûrs, les politiques et les médecins de se draper dans leur statut pour légitimer leur pouvoir "sur" moi. J'ai mal vécu et me suis rendu malade de vivre une "relation" aussi verticale, écrasée par la docte parole de "ceux qui savaient", à ma place.

J'ai culpabilisé de me laisser faire alors que clairement ce qui m'était imposé ne me semblait avoir aucun sens.

En plus du syndrome du sauveur et celui de l'imposteur, je me suis coltiné celui de Stockolm.

Et puis finalement, avec du recul, avec de l'aide pour mettre en mots, je considère ce magma chaotique et informe comme une occasion supplémentaire d'apprendre un petit quelque chose.

Le premier enseignement, c'est que les mots sont importants : au-delà de leur phonologie, de leur plastique extérieure, ils ont un pouvoir incroyable : celui de changer la réalité de celui qui les prononce et de celui qui les reçoit.

Et il se trouve que j'aurais aimé entendre certains mots

"On ne sait pas vraiment".

"On s'est trompés".

"Avec les moyens que l'on a, voilà ce que l'on pense."

La façon dont on choisit les mots qu'on utilise peut nous faire passer basculer rapidement d'autorité à autoritarisme, d'humanité à indifférence.

Pourquoi ? Parce que dans le premier cas on laisse à l'autre la place pour exister, penser, élaborer ; dans le deuxième on induit une relation de dépendance en ne lui accordant pas cette place.

Je sais à présent dans quelle case je veux me ranger ; je sais du moins quel chemin j'aspire à emprunter.

Le deuxième enseignement est tiré de la manière avec laquelle "on" s'est adressé à moi, à vous, à nous, soignantes et citoyennes.

Ce que j'ai alors touché du doigt à cette occasion c'est qu'à chaque fois que quelqu'un -un enseignant, un médecin, un formateur- a présenté sa pensée ou sa pratique comme LA vérité, au lieu de créer un pont, il a creusé un gouffre entre lui et moi.

De manière plus générale cette histoire m'invite à un peu plus d'humilité, au service de la relation thérapeutique au sein de laquelle j'aime évoluer.

Parce que la qualité de cette dernière me permet d'expérimenter, en signifiant à l'autre que je ne sais pas à sa place -que je sais certaines choses mais pas tout- de le valider et/ou le restaurer dans son humanité.

Par là-même, je me rétablis moi-même dans mon humanité. Et mon métier reprend tout son sens et sa juste place.

Dans le cas inverse je me prends pour Dieu et généralement dans un deuxième temps je me prends... Une claque !

 

 

 

 

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