Obsèques : j'y vais, j'y vais pas ?

Obsèques : j'y vais, j'y vais pas ?

C'était il n'y a pas si longtemps

En fait si, c'était il y a...15 ans !
J'ai accompagné un patient de l'annonce du diagnostic de SLA jusqu'à ses derniers jours. J'étais toute jeune diplômée, et outre le peu de connaissances que j'avais sur cette pathologie particulière, je commençais tout juste à construire mon identité de soignante... A bien y réfléchir, à 25 ans, je me construisais tout court !

Durant cette année intense, la relation thérapeutique s'est créée avec ce monsieur, mais aussi avec sa famille, à mesure que son état se dégradait.


J'ai découvert que mon champ d'action si précis en théorie, était bien plus large en pratique.


J'ai accueilli et me suis parfois laissé envahir par les émotions des uns et des autres, si singulières, propres à chaque "protagoniste". Par les miennes aussi. Car il s'agissait bien d'une Histoire qui se déroulait.
Une Histoire dans laquelle on m'avait maintes fois mise en garde de ne pas m'engouffrer. La fameuse distance thérapeutique. Un peu mais pas trop ; juste bien.

Le jour où mon patient s'est éteint, la question (ne) s'est (pas) posée de savoir si je me rendrais aux obsèques. Pour moi il était évident que ma place était là. Par devoir, en hommage à ce patient, à tout ce qui s'était tissé. Pour faire mémoire.
Pour moi aussi ; pour le deuil qui était le mien, bien réel, à mon corps défendant.

Et puis il y a eu cette discussion il y a peu

Lors de cette soirée avec une jeune kiné et une jeune psychomot', qui m'ont témoigné que pendant une formation, une psychologue leur avait clairement dit que leur place n'était pas là, que ce n'était pas juste.

Ça m'a d'abord stupéfaite, bouleversée, puis questionnée.
Et pour le moment je n'ai pas trouvé la bonne réponse. Mais j'ai trouvé mes réponses.

Ce qui est certain c'est que ces interrogations sont des occasions toutes trouvées pour se connaître davantage et clarifier certaines choses.

D'abord je crois que les enjeux sont particuliers quand on se trouve en libéral ou à l'hôpital. Selon le suivi, régulier ou ponctuel, la relation ne s'instaure pas de la même manière.

De mon point de vue, la première question à se poser est :

Quelle est mon intention en souhaitant être présente aux obsèques de mon patient?

Est-ce-que je souhaite m'y rendre pour moi ? Pour la famille ? Est-ce juste pour moi ? Pour eux ? De quoi chacun peut-il avoir besoin ? Quelles sont les conséquences pour chacun ?

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C'est dommage

C'est dommage de se priver mais surtout de priver les proches du défunt du réconfort et du soutien de notre présence, parce qu'on a peur de "craquer".

On vous dira que c'est rentrer dans l'intimité de la famille... c'est méconnaître la réalité de ce que nous vivons auprès et avec ces patients !

Bien sûr qu'on y est, dans l'intimité,  lors d'une célébration !!! Mais on ne rentre pas dans cette intimité, on y est déjà, de facto, quand on a essuyé des larmes, du sang, des crachats et pas que, quand on a accueilli la détresse et la colère, à l'occasion de multiples coeur à coeur furtifs ou non.

Le choix que nous pouvons faire de notre présence discrète certes, mais délicate en ce moment si particulier, peut ainsi être une occasion de redéfinir la façon dont nous choisissons d'accompagner les patients qui nous sont confiés.

Ça vaut le coup de se poser ces questions

Si elles sont convoquées avec force à l'occasion de la mort de nos patients, ces questions nous invitent aussi très probablement à nous interroger sur notre rôle, notre place durant la prise en soin de ces derniers.

Oui, il existe bien un deuil "professionnel".

En tant que soignantes, accompagnantes, nous avons vécu une relation ; "professionnelle" certes, mais avant tout, humaine.

Si le deuil est le processus qui permet de passer d'une relation émotionnelle -construite via nos sens extérieurs-, à une relation plus intérieure, il est aussi et surtout propre à chacun ; et la façon dont il nous traverse témoigne de la qualité de relation qui existait avant la séparation.

Faut-il s'en culpabiliser ou au contraire s'en réjouir ? Tirer des conclusions en s'étiquetant de "trop sensible" ou au contraire "insensible" ?

Travaillons-nous seulement avec notre tête, nos capacités d'analyse et notre expertise technique ? Je crois pour ma part que la spécificité du soin, du "prendre soin" fait que nous engageons tout notre être dans notre travail.

Mais aussi la manière dont nous nous considérons

L'année qui vient de s'écouler a rappelé à nos contemporains mais surtout nous a rappelé que ce que nous vivons, expérimentons, intérieurement ou pas, imprègne tout notre être, et transforme notre rapport à nous-même et à nos patients.

Et dans l'autre sens ça marche aussi : ce que nous expérimentons avec notre blouse teinte irrémédiablement la femme que nous sommes.

Pourquoi vouloir à tout prix séparer les deux ?
Cela me paraît d'une violence extrême car c'est faire fi de ce que nous sommes. Comment là-dedans ne pas se sentir écartelée, morcelée, culpabilisée ?!

Peut-être, et ça n'est qu'une piste, en reconsidérant la manière dont nous nous formons et nous informons. Il y a les formateurs, les instituts, les syndicats qui ont pignon sur rue et qui dispensent souvent la bonne parole, la doxa.
Plus que de nous former, nous nous conformons, bien souvent parce que nous nous sommes lâché la main et nous ne nous faisons pas confiance. Nous finissons par attendre des autres qu'ils nous disent comment nous comporter et viennent nous valider pour nous sentir dignes.

Sans verser dans la revendication, je rêve a contrario que nous puissions redevenir souveraines, trouver des lieux et des  personnes ressources qui n'exercent pas une autorité sur nous, mais qui nous inspirent et nous invitent à évoluer en nous soutenant, dans les différents domaines de nos vies.

Puissions-nous donc (re)devenir des femmes, soignantes, traversées par des doutes, des émotions, mais aussi ancrées dans la certitude que nous faisons du mieux que nous pouvons et selon ce que nous sentons...avec les moyens que nous avons.

Redevenons vivantes !