Mathilde, d'Infirmière en psychiatrie à... Facturière !

Mathilde, d'Infirmière en psychiatrie à... Facturière !

Une Vie au Service

Hello Mathilde ! Alors alors, raconte-nous, qui es-tu ?

J’ai 33 ans, je suis mariée et maman de 2 enfants de 6 et 9 ans.
J’ai obtenu mon diplôme d’infirmière en 2009, après 3ans ½ de formation en IFSI en alternance en hôpital Psy.
J’ai tellement aimé cet univers réputé difficile que j’ai choisi d’effectuer mes stages optionnels là-bas.

Qu’est-ce qui te plaisait tant ?

Le fait de pouvoir prendre le temps avec les patients. De prendre soin à travers la relation, c’était pour moi primordial. Je ne voulais pas résumer mon travail à des actes techniques et répétitifs. Ça ne me faisait pas vibrer.

Qu’as-tu trouvé là-bas ?

J’ai travaillé pendant 6 ans dans ce service où en effet les pathos étaient hard, mais notre équipe étant incroyablement soudée et bienveillante, je me suis toujours sentie en sécurité.


On était nombreux, on pouvait programmer des sorties thérapeutiques, c’était vraiment chouette. Je donnais beaucoup mais il y avait un juste équilibre alors je me sentais nourrie, ce que je faisais avait vraiment du sens.

Comment as-tu évolué ?

J’ai intégré un service plus « light », au moment où une nouvelle cadre de service issue des soins généraux a débarqué.

Elle nous a expliqué que le jardinage et la pétanque, ça n’était pas du soin, et qu’on ne pratiquait pas assez de prises de sang et d’injections…il y a donc eu des suppressions de postes parce qu’on n’était pas assez « rentables ».

On a donc dû devenir mobiles et passer de service en service

Quel a été le résultat pour toi ?

Je ne connaissais pas les patients. Souvent je débarquais dans un service où j’étais la seule infirmière, épaulée par 2 ASH, et je n’avais pas le temps de prendre connaissance du dossier du patient. Je le mettais en danger et moi avec. J’ai détesté.
Avant, j’avais une expertise, reconnue, et je me sentais à ma place. Là, j’étais devenue fonctionnelle.

J'espère qu'un jour la création d'un espace de "prendre soin des soignants" fera partie des réflexions pour une prise en charge de qualité des patients.

Qu’as-tu décidé ?

J’ai posé ma démission à l’issue de mon congé parental. On me demandait de reprendre à 100% ou alors de choisir un 80% à nouveau mobile et ce n’était pas tenable pour moi.
J’ai intégré alors un ITEP où le même genre de scénario s’est reproduit.
Rentabilité ; impuissance…je n’ai jamais obtenu les moyens de faire correctement le travail que je souhaitais. Frustrations…déceptions.


D’autant plus qu’en rentrant crevée après 1h de route, je ramenais du travail à la maison parce que je n’avais pas le temps de préparer mes séances sur place.


Encore une fois c’est l’équipe géniale qui m’a permis de tenir. Mais à la fin de mon contrat j’ai fait une pause. J’ai consulté une psychologue pour m’aider à clarifier et faire le point sur ce que j’avais vécu.

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Que je culpabilisais pour tout. Je me suis toujours sentie responsable alors que c’était l’organisation du travail qui dysfonctionnait. Pas moi. Pourtant je m’en voulais de ne pas réussir à faire mieux…

L’accompagnement par cette psy m’a permis de prendre du recul, de repérer des mécanismes chez moi.

J’ai réalisé à quel point j’avais besoin de vivre en autonomie, en cohérence avec mes propres valeurs. Il m’est apparu que je ne voulais plus être dans le soin parce que je n’arrivais pas -dans ce cadre- à prendre soin de moi.

Ma belle-sœur m’a alors fait part de son projet de monter une entreprise qui soulagerait les IDE libérales dans leur tâches administratives et de facturation. Je me suis donc formée, au logiciel, à la micro-entreprise, mais aussi à la nomenclature puisque j’étais issue du monde hospitalier. Je me suis aussi longuement demandée si je serais capable de passer mes journées devant un ordi. Et en fait oui.

J’ai alors créé une page Facebook. Prospecté. Créé mon logo, mes flyers.

Et mon projet est né. Pour que les infirmiers ne se prennent plus la tête.

J’ai commencé par 2 infirmières que je ne connaissais pas. Puis 2 anciens collègues. Et aujourd’hui mon emploi du temps est rempli.

Que peux-tu observer que tu ne réalisais pas avant, la tête dans le guidon ?

Les anciennes ne veulent pas déléguer ; elles ont intégré ces tâches dans une routine et ne voient pas ce que mon aide leur apporterait.

Celles qui me sollicitent elles ont une vie de maman dont elles veulent profiter.

Je gère donc le backoffice, ce qui leur libère du temps en leur libèrant l’esprit.

Il y en a même qui m’ont confié qu’elles avaient tellement de temps entre leurs deux tournées qu’elles se trouvaient désœuvrées

Je vois à quel point les soignantes ont des difficultés à se faire aider, accompagner ; elles gèrent tout, au risque de se sentir défaillantes. (ndlr : ami syndrome du sauveur bonjour !)


En revanche, une fois le premier pas posé, elles mesurent pleinement ce dont elles se sont privées pendant si longtemps !

Bientôt 1 an que tu t’es lancée… Qu’en retires-tu ?

Je travaille avec des gens que j’ai choisis ; j’ai enfin du temps pour mes enfants et j’organise mon emploi du temps en harmonie avec ce que je veux vivre.

 Je continue à échanger, à partager, à prendre des stagiaires qui veulent se lancer, comme quand j’étais infirmière.
Je n’ai rien perdu de mon ADN, et je crois que c’est ce qui est apprécié par mes clients : je prends le temps et je suis disponible quand elles ont besoin de moi, tout en fixant mes limites : je ne travaille pas le mercredi ni le we.

J’aime par-dessus tout me faire proche d’elles et des préoccupations de leur vie.

Je m’adapte en permanence, tout en respectant mes besoins !

Selon toi de quelle manière notre expérience professionnelle imprègne tout notre être et influence celle que nous sommes dans la sphère privée ?

Inversement, en quoi celle que nous sommes sous notre blouse colore la soignante que nous sommes ?

Je vais apporter une réponse commune pour les 2 questions.
Je pense que malgré ce que l'on nous enseigne à l'école, à savoir "déposer ce qui s'est passé au travail dans le vestiaire lorsqu'on quitte notre blouse", il est difficile pour tout soignant  de rentrer à la maison sans penser à ce qu'il a vécu.
Se remettre en question est essentiel dans nos métiers.
Heureusement la force de l'équipe soignante, les échanges entre professionnels permettent de prendre du recul mais les derniers mois où j'ai exercé, ce temps d'échange était malheureusement restreint du fait du manque de personnel, et de la direction qui semblait ne pas comprendre leur importance.

Parmi les thèmes proposés tu as choisi "prendre soin de soi". Peux-tu nous partager ce que ça évoque pour toi ?

Ma réponse va compléter la précédente. C'est drôle, la phrase que j'aime tant et qui ne m'a jamais lâchée c'est "prendre soin de soi, pour prendre soin des autres".
C'était le nom du module optionnel que j'avais choisi en 2ème année. Cette phrase simple me paraît extrêmement importante pour être et rester une soignante à l'écoute,
et non une technicienne qui enchaîne les actes de soins.
Comment prendre soin des autres si l'on est pas, nous même, bien dans notre vie, dans notre tête ?
Comment apporter l'écoute et la bienveillance que recherchent les personnes en souffrance que l'on croise, si notre esprit est accaparé par autre chose ?
J'espère qu'un jour la création d'un espace de "prendre soin des soignants" fera partie des réflexions pour une prise en charge de qualité des patients.


Une citation, une phrase qui guide tes journées ?

"Prendre soin de soi, pour prendre soin des autres"

La pépite de cette rencontre

La créativité surgit au moment où on peut poser un nouveau regard sur soi.
Etre au bon endroit, au bon moment pour les autres, est une grande source de joie.