Souvenir d’une première séance sauce désastre…

Souvenir d’une première séance sauce désastre…

L'authenticité au service de la relation

Il est 10h… Je me suis laissé une heure pour repenser, rebachoter mon anamnèse, pour pas avoir l’air trop collée à ma feuille A4.Il est 10h et cette journée inaugure le début de ma vie d’orthophoniste : ça y est, j’ai mon diplôme depuis 2 mois ! La petite Clarisse, 4 ans, arrive : pour un cr/tr qu’on m’a dit !...Pfff…Trop fastoche.Et en même temps en ce lundi matin de septembre je flippe, et mon intuition de départ s’avère n’être pas si éloignée de la réalité… En 1h, (oui parce que je l’avoue je n’ai pas fait durer le supplice + d’une heure, entre l’anamnèse de 30 min et les épreuves plantées…) je n’ai pas eu un mot, pas une « production »…enfin si : des larmes… Dépitée, honteuse, ridiculisée… Je me suis dit que j’avais tout raté… parce que, à ce moment là, je n’avais d’autre outil en poche que ma « technique », les « il faut, on doit » de l’orthodoxie orthophonique. Je n’ai pas su, pas pu obtenir une production, pas pu situer Clarisse sur la courbe de Gauss… et je me sens trop nulle… Après avoir déchargé ma frustration et ma déception auprès de marraine ma bonne fée, j'ai décidé que ma carrière ne pouvait raisonnablement s'arrêter là.Je n’avais pas dit mon dernier mot, et sans doute que Clarisse non plus... Et en effet, elle en avait des choses à dire ! C'est ce jour là que j'ai fait la connaissance d'un pote qui a mis du temps avant de mes lâcher les baskets : ce foutu syndrome de l’imposteur… J’ai donc proposé un 2ème rdv au cours duquel j’ai dit à Clarisse combien j’étais désolée. De ne pas avoir pris suffisamment le temps de l’apprivoiser, mais aussi de lui dire qui j’étais. Je me suis montrée vulnérable ; j’ai pris le temps de dire à la maman que je ne savais pas tout mais que j’avais besoin d’elle… Et tout s’est détendu… Ce que j’avais vécu comme un fiasco a été pour moi finalement une grande leçon d’humilité ; et quand les choses tournent mal, quand je me sens « trop » ou « pas assez », c’est pour moi une urgence de me demander comment je vais, comment je me sens, pour me réajuster à l’autre et ne pas rester dans MES attentes… Et en fait, le savoir être se creuse. S’enrichit, s’approfondit, s’étoffe. 12 ans + tard me voilà en EHPAD à accompagner un collègue pour des bilans de déglu parce que je crois que je ne me rappelle plus comment on fait… Serait-ce Alzheimer ?! Non, je l’ai reconnu : encore une fois, mon pote le syndrome de l’imposteur… Mais je le dégage plus rapidement cette fois-ci.Parce que je sais que je suis meilleure aujourd’hui qu’il y a 12 ans. J’ai perdu un peu de savoirs théoriques dans certains domaines, je n’ai pas fait de mise à jour dans d’autres et ne suis pas au top dans chacune des lignes de notre champ de compétence… J’ai lâché là-dessus, et c'est ce qui me permet de ne pas me prendre pour Dieu dans mes prises en soin. Tout ce que me raconte ce collègue je le sais déjà… et puis je trouve qu’il ne prend pas beaucoup le temps d’expliquer à Mme B. pourquoi il lui donne à boire à la cuillère ; et puis aussi je trouve qu’elle est avachie cette petite dame ; alors je lui propose de la redresser ; elle soupire un « enfin » de soulagement… Sa jupe n’était pas boutonnée jusqu’en haut… Je prends le temps, avec elle, et pour elle, pendant que mon collègue récupère un saturomètre et une compote… Je repars le cœur léger, de me dire que je ne FAIS pas de l’orthophonie, que je SUIS orthophoniste… Par conséquent chacun des gestes, des regards que je pose, est empreint de mon savoir être autant que de mon savoir-faire et de ma technicité. Et je n’ai pas à en rougir ; le mot stase ou hyposensibilité, utilisé au bon endroit, ne fait pas de moi une bonne ortho, et en même temps tout le monde ne peut pas le comprendre ou l’employer. Pourtant, si ma technique n’est pas habillée d’une qualité de présence dense et sincère, je suis une coquille vide. En repartant ? Mme B. me remercie chaleureusement « pour tout » … Je suis émue.   A mon tour je la remercie intérieurement pour tout ce qu’elle vient de m’apprendre, de me rappeler…   Sans le savoir, elle m’a ré-animée.