Petite souris 1. Père Noël 0. Victoire par KO.

Petite souris 1. Père Noël 0. Victoire par KO.

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Tu crois au Père Noël ?

Tiphaine, 5 ans, vient me voir très concernée, genre "Maman, faut que je te parle c'est du sérieux : je suis plus un bébé". Elle m'explique de sa voix toute choute :
"Maman, maintenant je suis une grande. Je crois plus au Père Noël. Tout ça je sais que c'est les grands qui ont inventé... Par contre j'ai une dent qui bouge, et je voudrais bien savoir quand la petite Souris va passer..."

Mon coeur de Maman oscille entre tristesse de voir mon bébé grandir, et soulagement de constater que la pensée magique ne s'est pas définitivement évaporée de ma minette joufflue.

Par son "avoeu", elle m'a invitée sans le savoir à un voyage en contrées intérieures.

Comme par hasard, depuis plusieurs jours je suis en contact avec des soignantes qui m'expliquent comme il est difficile de "s'avouer" qu'elles ont besoin de prendre soin d'elles, qu'elles ont besoin d'aide parce qu'elles ne voient pas le bout du tunnel ; comme elles aiment leur boulot mais qu'elles ne s'y retrouvent plus...

Combien elles se sont oubliées, perdues plutôt,  et qu'elles ne savent même plus qui elles sont et ce dont elles ont besoin.

Elles savent...mais elles luttent contre une réalité qui serait trop lourde de conséquences. Pour elles, et pour les autres.

Comme si le fait de reconnaître ces difficultés était un échec ; comme si par la-même elles s'avouaient battues, vaincues.

 

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Tiphaine, elle, avait l'air déçu

De s'avouer et de m'avouer que finalement elle consentait à admettre que ce foutu père Noël, il n'existait pas.
Il lui en a fallu du courage, pour oser me dire que nous adultes étions démasqués : par son cheminement et sa découverte, elle venait remettre en cause un équilibre fait de non dits, un écosystème nourri d'implicite.

Et en même temps une partie d'elle ne pouvait pas encore renoncer complètement : c'est celle qui  s'accrochait toujours à sa ptite souris.

Eh bien parfois, de la même façon  reconnaissons que ce n'est pas chose facile d'admettre qu'on n'est pas des wonder women. Parfaites et pimpées tout bien comme il faut.


Or, vivre en héroïne, ça a des conséquences :

  • Pour moi d'abord :

    J'ai une image de moi valorisante. Je suis la sauveuse, de mes patients, de mes enfants et de mon mec pourquoi pas.

    Je me prends un peu pour Dieu et ça fait du bien, je me sens indispensable.  Je suis auto-suffisante, je n'ai besoin de personne. Je suis IN-DÉ-PEN-DAN-TE !

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Je vois comme la pudeur est grande chez mes collègues et amies.

Combien elles ont honte de dire que "ça" va ne pas, parce qu'elles font le plus beau métier du monde. C'est tellement meeeeerveilleux de sauver des vies, d'accompagner Junior sur le chemin de la Dyslexie, de permettre à une maman de poursuivre un allaitement ; de rendre possible le retour à domicile d'une personne vulnérable en coordonnant les intervenants ; de donner le sourire à cet ancien lors d'une toilette...

Mouais... ça c'est sur le papier.

Pourtant ces soignantes ont fini par se laisser convaincre que la description de la fiche de poste devait coller à la réalité, ou plutôt l'inverse. Et quand ça s'avère plus complexe, plus décevant, moins stable et plus intense, elles se disent que c'est ELLES qui ont un problème...
Qu'elles ont raté. Qu'elles n'ont pas fait comme il fallait.
Pire, qu'elles ne savent pas apprécier leur vie comme elle est...Et qu'elles devraient arrêter de se plaindre. Ces soignantes, elles sont passées en mode pilote automatique et n'osent même plus se demander comment elles se sentent.

Elles ont trop peur de la réponse ; trop peur des questions que ces dernières soulèveraient, trop peur de ne trouver personne pour les entendre.

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Le côté obscur, c'est que quand je ne suis pas linéaire stable et rutilante, quand le plastique morfle un peu au gré des intempéries, mon identité se casse la figure bien plus rapidement qu'elle ne s'est construite, tellement collée à cette image de Wonder Woman.

Et comme je mets du temps à me décoller de cette image, convaincue qu'une héroïne n'a besoin de rien ni personne, eh bien je me laisse bouffer par la culpabilité, puis par la honte... Et je plonge dans la solitude puis l'isolement, convaincue que je suis la seule à vivre ça. Paf.

• Pour les autres ensuite :

Pas facile d'être l'enfant, le conjoint, l'amie ou le patient d'une nana 0 défaut, intransigeante et tellement parfaite ! Ça ne laisse que peu de place à la vulnérabilité, à la confiance et à l'ouverture.

Pas facile de se montrer authentique et "pauvre", -ayant besoin d'aide- à quelqu'un qui ne semble pas atteinte, encore moins altérée par les aléas de la vie.

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Autonomie...ou indépendance ?

Être indépendante c'est cool, ça procure un sentiment de liberté. Ça a juste des conséquences pour la part de nous qui grandit par et grâce à la relation...

Inconfortable et hautement tiraillant à la longue,  quand souvent on s'est lancée dans le métier du Soin, justement...pour la relation.

Par tous les mécanismes de défense que nous mettons en place pour nous protéger on finit par perdre confiance que cette relation nous nourrit, nous apprend, nous revigore, parfois en nous bousculant. Et on s'use. Et on se désespère en constatant qu'on est devenu le seul point de ressources des autres, celles à qui on peut tout demander parce qu'elles supportent tout !
On finit par se méfier de l'inconnu et de l'Inconnu.

On ne se raconte plus parce que on a peur de se faire bouffer.

On la ferme... Et on se ferme.

On voit à quel point nous avons des difficultés faire le constat, d'abord de nous à nous. C'est douloureux, ça nécessite un certain deuil, et ça nous fait plonger dans la tristesse.

Pourtant ça fait du bien nom d'un chien !!!

Ça nécessite "juste" de dépoussiérer nos croyances. Ce n'est pas confortable de gratter le plastique et d'accéder au bois, de poser sa blouse et de se reconnecter à la Source.
Mais ça permet de mettre nos exigences -ou celles qu'on a accepté qu'on nous colle sur la tronche- en sourdine, de les faire descendre d'un niveau. Qu'elles crient moins fort et battent un peu moins la chamade dans nos tempes et dans nos coeurs.

Oser la vulnérabilité quand on est soignante, sans l'assimiler à de la faiblesse ou de la fragilité, c'est non seulement hyper courageux...mais aussi hyper réaliste !!!

Je dirais même plus, c'est éco-responsable !

En acceptant de nous voir comme nous sommes, chacune avec nos doutes et nos propres limites, ça laisse la place aux autres de nous offrir les leurs avec la confiance qu'ils ont en face d'eux, ou plutôt à leurs côtés quelqu'un d'authentique.

Alors ok, moi je veux bien arrêter de croire au Père Noël ; en revanche, résolument, je décide de croire que des petites souris malicieuses, telles de petits lutins, peuvent transformer les imperfections et les déceptions que je planque sous mon oreiller en cadeaux et en occasions de me renouveler.